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L'Étrange Festival 2013 : bilan et palmarès

Alors que notre présence pour cette dix-neuvième édition n'était pas prévue, nous avons finalement pu assister aux derniers jours de la manifestation. Quatre jours qui ont permis de vivre d'incroyables moments comme le nouveau Sono Sion ou découvrir le cinéma érotique et pornographique de Stephen Sayadian.

Des éclairs fantastiques, des visions morbides, des ombres et des lumières, des lèvres immenses, une langue géante procurant une petite mort, des sexes turgescents et de la jouissance “a-go-go”. Non, vous ne rêvez pas, vous êtes bien chez Stephen Sayadian, connu sous plusieurs pseudonymes (Rinse Dream, F.X. Pope, Ladi von Jansky…) dont les productions libres ont fasciné- émoustillé-plus-si-affinités l’inconscient cinéphile. Sayadian a commencé sa carrière en tant que directeur artistique pour LFP (Larry FLint PubLications) avant de mettre en boîte au début des années 80 des films qui ne ressemblent à rien de connu, représentatifs d’une époque où la pornographie avait – encore – des ambitions artistiques. Au sexe libre et hédoniste des années 70 succède le sexe solitaire. Pile au moment où les premières cassettes porno sont commercialisées, Sayadian nous plonge dans un monde de surréalisme pulp amer, d’humour bizarre, de tableaux kitsch, de virus et de performance, à l’esthétique alliant mauvais goût et visées poétiques, résistant au sexe boucher. En résultent Nightdreams, rêverie déclinée en trois volets ; Café Flesh, dystopie mettant en abyme le désir dans un univers postapocalyptique ; ou encore Dr. Caligari, (fausse) suite illuminée du classique de Robert Wiene. Dans les années 90, après deux exquis Party Doll a-Go-Go, Sayadian s’aventure chez MTV et dans la série télé, laissant la place à d’autres artistes pour représenter le sexe au cinéma. Pas sûr qu’ils aient fait preuve d’autant d’imagination.
Catalogue de l’Étrange Festival.

Les spécialistes en cinéma pornographique résume bien souvent l'âge d'or du genre à la période ou celui-ci était encore réalisé en pellicule et dont les chef d'oeuvre sont la plus part issus des années 70. Avec la découverte de Nightdreams (1981) et du Dr Caligari (1989, film érotique),on peut enfin citer un réalisateur des années 80 digne d'être connu pour ces films X, qui plus est, tourné en 35 millimètre.
Ce qui surprend le plus à la vision de Nightdreams et du Dr Caligari est le ton, très sombre, l'humour (noir) omniprésent et les idées visuelles incroyables à foison (dans le Dr Caligari pour économiser du temps et de l'argent, tous les décors ont été placé sur roues afin de les bouger pour créer l'effet d'un traveling), quelque part entre un Tim Burton sous acide et un Richard Elfman dévergondé, tout cela entremêlée de scène de sexe qui passeraient presque au second plan si le talent de Sayadian aka Rinse Dreams ne venait pas démontrer qu'un film porno peut-être un territoire d'expérimentation.
Nous passerons sur Party Doll a Go Go dont l'auteur de ces lignes n'a pu supporter ni les recadrages supprimant toutes les scènes pornographiques, ni le grain vidéo rendant particulièrement indigeste les nineties. Un triste souvenir. Quant à Café Flesh, le long-métrage le plus célèbre de son auteur, nous avons malheureusement fait l'impasse pour redonner une chance à The Rambler de Calvin Lee Reeder.




Un homme qui sort de prison doit composer avec le monde réel. Au gré de ses pérégrinations, il perd progressivement le sens de la réalité et bascule dans un univers cauchemardesque où tout peut arriver. Absolument tout...

Après The Oregonian (2011), œuvre récompensée au Lausanne Underground Film Festival (LUFF), Calvin Lee Reeder remet le couvert du bizarre avec un film ou le voyage semble labyrinthique et les rencontres plus étranges les unes que les autres. Si la première vision nous avait particulièrement charmé (beaux cadres et belle direction d'acteurs), la seconde vision, les effets de surprises évacués, a rendu le spectacle long, voire ennuyeux. Si notre avis n'est pas tout à fait arrêté à l'heure actuelle, nul doute que l'auteur est à suivre de très près car il est le seul auteur américain de la scène indépendante à être digne d'intérêt pour son cinéma évoquant David Lynch.

Autre jeune réalisateur qui risque de faire parler de lui dans les prochaines semaines (et on espère dans les prochaines années) Andrew Bowser signe avec Worm, le film de petit malin de cette quinzaine.

Accusé d’un double homicide, Jason accumule les mauvaises rencontres alors qu’il tente de sauver sa petite fille d’une bande de vicieux criminels.

Entièrement tourné avec une Go-pro, petite caméra arnachée à son acteur/réalisateur, Worm est un long plan séquence de 90 minutes. Un néo noir pas innovant scénaristiquement (on retrouve toutes les figures et les renversements de situation) mais terriblement divertissant grâce à l'empathie qui nait de la proximité avec le périple du personnage.

La véritable sensation de cette édition aura été pour nous la vision du nouveau Sono Sion, Why don't you play in Hell marquant le retour du cinéaste japonais à l’Étrange Festival après les découvertes de Guilty of Romance et Cold Fish (toujours inédit en France) en 2011.



Muto et Ikegami sont deux gangsters qui se détestent : l’un tente de réaliser le rêve de sa femme en cherchant un rôle de cinéma pour sa fille, l’autre est amoureux de cette dernière. Un réalisateur indépendant décide de la prendre comme actrice principale de son film. Évidemment, rien ne se passe comme prévu…

Film de yakuza, film d'amour sur le cinéma, Why don't you play in Hell ? est une aventure dont la folie du propos ne peut venir que d'un seul homme, Sono Sion. Le cinéaste est le plus enthousiasmant en provenance de l'archipel pour sa faculté à marier projet réflexif et démonstration stylistique hors normes. Alternant aussi bien des visions poétiques, réalistes ou fantasmagoriques, Sono Sion ne lâche jamais son scénario, aussi barré qu’imprévisible affichant pourtant une cohérence irréprochable. Cette mise en abyme d'un groupe de cinéaste indépendant servant de prétexte à un déferlement de violence pour un vrai faux film de yakuza est époustouflant. Il aurait été facile de dérapé dans l'indigeste et le chaos mais Sono Sion réalise son film le plus maîtrisé.
Le second degrés se greffe admirablement aux aspects les plus mélancoliques du film (disparition du cinéma de quartier, de la pellicule pour la vidéo) renforçant les personnages dans leur quête respective. Why don't you play in Hell ? est un film qui ressasse divers éléments du cinéma nippon (film en costume, film de flic, film de yakuza, film de jeune, film de génération). Tout est concassé, tout s'entrechoque sur plus de deux heures pour finir dans un final démentiel.

Le film a été récompensé par le prix du public tandis que le long-métrage russe The Major a lui obtenu le Prix nouveau Genre. Quant au court-métrage, c'est The Voice Chef d'Adan Jodorowsky qui a obtenu le Prix du public et le Grand Prix Canal+.

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