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Les Introuvables : des légendes et des raretés

Classique "émasculé" et raretés du Nouvel Hollywood sont au programme de cette nouvelle salve de la collection Les Introuvables Wild Side

Dernière légende de l'âge d'or d'Hollywood, Kirk Douglas est à l'honneur dans Quinze jours ailleurs de Vincente Minnelli et prochainement dans l'ouvrage I am Spartacus retraçant l'épopée de ce péplum signé Santley Kubrick, on en reparle très vite.

QUINZE JOURS AILLEURS / TWO WEEKS IN ANOTHER TOWN / Vincente Minelli / 1962  

Après divers déboires, sentimentaux et professionnels, suivis de six ans en clinique psychiatrique, Jack Andrus est rappelé à Rome pour un tournage durant quinze jours. Jack remplace à la hâte le metteur en scène tombé malade, qui voit là une véritable trahison. Sur le plateau, Jack retrouve son ex-femme, Carlotta, qui lui fera des avances pour ensuite le bafouer. Mais il tombera amoureux de Véronica, la maîtresse d'un jeune premier, qui jaloux, veut le tuer.

Au point culminant de son inspiration créatrice, Minnelli tourne deux films puissants et puissamment pessimistes : Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, puis Quinze jours ailleurs, qui se présente comme un témoin des difficultés que rencontrera le cinéma américain de 1960 à 70. L’histoire raconte celle du tournage d’une grosse production déportée à Rome pour raison financière. Le cinéaste illustre le combat entre valeur artistique et vulgarité marchande, et cite Les Ensorcelés, qu’il réalisa en 1951 et qui magnifia le Hollywood de la grande époque classique. Désormais le décor imaginaire, dans lequel tout héros minnellien cherche à se réfugier, a changé. Il perd sa part de rêve pour s’abîmer dans une réalité féroce, malade, sans exaltation. Le film manifeste la lassitude qu’éprouve Minnelli face à ce qu’est devenue la profession cinématographique: le conflit qui naît entre les deux réalisateurs et perturbe l’équipe confesse le malaise qu’il ressent alors. Il est autant Douglas que Robinson et la fébrilité qui s’empare de tous les personnages, donc des mouvements d‘appareils, des lumières, des couleurs, des sons, atteint son paroxysme dans la séquence de la voiture en folie. Quinze jours ailleurs reste un chef-d’oeuvre aussi vivant qu’émouvant.
Jean Douchet
Supplément :
> Hollywood Ending : entretien avec Jean Douchet (13mn)

Si les propos de Monsieur Douchet viennent attiser notre curiosité à l'égard de ce film, les propos de Kirk Douglas issus de son autobiographie rajoute du mystère à cette œuvre rare.
"A l'automne 1961, Anne et moi nous rendîmes à Rome. Two Weeks in another town (Quinze Jours ailleurs) était le troisième film que je faisais avec Vincente Minnellli comme réalisateur et John Houseman comme producteur. Pour les deux films précédents, Les Ensorcelés et La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, j'avais été désigné pour les Oscars.
Quinze jours ailleurs (un scénario de Charles Schnee, d'après le roman d'Irwin Shaw) aurait pu être un film très fort sur la vue moderne. Cette idée d'un homme recherchant l'oubli et la rédemption derrière les gens qui l'entourent, durs et superficiels, n'est pas sans évoquer La Dolce Vita. Cyd Charisse jouait le rôle de mon ancienne femme, une véritable garce.
Edward G. Robinson jouait le rôle d'un réalisateur de films qui donait à mon personnage, l'acteur déchu Jack Andrus, une chance de s'en sortir. Eddie avait à l'époque la soixante, et il portait encore les cicatrices de cette machine à déchiqueter les hommes qu'avait été la liste noire du début des années cinquante. Personne n'avait formellement accusé Eddie de quoi que ce soit ; il n' y a que des ragots. entre autres "crimes", on reprochait à Eddie son appartenance au groupe "Jeunesse américaine pour la démocratie", et un prêt de 2500 dollars qu'il avait consenti à Dalton Trumbo. [...] La plupart des plans de Quinze jours ailleurs furent tournés à Rome et de nuit. Minnelli pouvait facilement dormir dans la journée, parfois jusqu'à six heures du soir. J'en étais, moi, parfaitement incapable, en sorte que je passai trois semaines épuisantes de tournage sans beaucoup dormir.[...] Il y avait un certain nombre de scènes scandaleuses dans Quinze jours ailleurs. Pour l'une de ces scènes, ils voulaient une chanteuse noire : dans un night-club dépravé de Rome, des gens de la haute société, assis autour d'un verre, observent des gens faisant l'amour sur scène (hors écran, bien entendu). Ils amenèrent sur le plateau une ravissante jeune fille chaperonnée par ses parents. Elle s'appelait Leslie Uggams et avait une voix également ravissante. [...] Vincente Minnelli était un homme merveilleux, habitué à travailler dans le cadre du vieux système des compagnies cinématographiques. Il ne travaillait jamais beaucoup sur le post-productions d'un film. Le dernier plan tourné, il considérait en avoir fini, et laissait au producteur et au monteur le soin de terminer le travail. Et puis soudain, la MGM eut un nouveau directeur, Joseph Vogel, qui décida que la compagnie ne produirait plus que des spectacles familiaux. Or Quinze jours ailleurs était tout sauf un film pour les familles. Il y avait beaucoup de scènes érotiques, parfois dures. Vogel décida donc de modifier le film au montage ; il fallait absolument en tirer un spectacle "tous publics". Les discussions s'engagèrent, mais je me demandais où avait bien pu passer John Houseman, le producteur.
En voyant à quel point il allaient émasculer le film, j'écrivis à Vogel, bien que je ne fusse qu'un acteur. Je l'implorai, lui disant que s'il avait voulu faire un spectacle familial, il n'aurait pas dû produire Quinze jours ailleurs. Margaret Booth, qui est à présent chef monteuse chez Ray Stark, travaillait sur Quinze jours ailleurs. J'allai plaider ma cause auprès d'elle. Elle était d'accord avec moi : ils avaient tort, mais elle travaillait pour la MGM et elle avait peur de perdre son travail. Elle éclata en sanglots. Je n'ai jamais pu m’empêcher de parler ! Ils coupèrent les scènes les plus passionnantes. Je trouvais cela parfaitement injustes pour Vincente Minnelli qui avait réalisé un si beau travail. Et injuste pour le public, qui payait sa place, et qui aurait pu voir un film profond, aux dimensions tragiques. Ils le sortirent de cette façon, émasculé."
 Kirk Douglas in Le Fils du chiffonnier - 1989 - p.341-343
Une décennie plus tard la donne avait plus ou moins changé pour les cinéastes du Nouvel Hollywood. Fort du succès d'Easy Rider en tant que producteur et de Cinq Pièce faciles en tant que réalisateur, Bob Rafelson signe une rareté qui n'était jusqu'à présent disponible qu'au sein d'un coffret zone 1 Criterion dépourvu de sous-titres français.

THE KING OF MARVIN GARDENS / Bob Rafelson / 1972

Animateur dans une petite radio de Philadelphie, David Staebler reçoit un jour un coup de fil de son frère, Jason. Il lui demande de le rejoindre à Atlantic City, afi n de lui faire part d’un projet d’envergure : fonder une cité du jeu sur une île d’Hawaï.

Auréolé du succès de Cinq pièces faciles, Bob Rafelson, l’un des cinéastes les plus symptomatiques du Nouvel Hollywood et co-fondateur de la fameuse BBS (société de production à qui l’on doit Easy Rider et Hearts and Minds), retrouve Jack Nicholson et signe un grand film désenchanté tourné à Atlantic City, ville balnéaire magique des années 30 devenue en ce début des 70’s, un lieu décrépit et fantomatique. The King of Marvin Gardens (“Marvin Gardens” désigne la case immobilière la plus chère du Monopoly américain) exploite toutes les ressources de ce Xanadu en ruines et décline à merveille l’une des obsessions du cinéma de Rafelson, soit la rencontre, et souvent l’affrontement violent, entre des marginaux issus d’univers sociaux et culturels que tout, ou presque, oppose. Ici, le tandem fraternel formé par Nicholson, en autiste dépressif, et Bruce Dern, dans le rôle d’un arnaqueur flamboyant, incarne deux facettes d’un rêve américain en bout de course, perdu entre le mirage et le déni, entre la folie et la société de consommation qui a contaminé tous les esprits. Nous sommes en 1972 : la contre-culture et ses désirs de changement ne sont plus qu’un mirage plein de drogues et de rêves viciés (amasser des dollars) où l’on tourne en rond avant d’aller droit dans le mur. Une merveille du cinéma américain des années 70.
Jean-Baptiste Thoret
Supplément :
> Bob Rafelson, Confidences d'un cinéaste éclairé (26mn)

Finissons avec The Last Detail, troisième long-métrage du cinéaste "hippie" Hal Ashby inédit en dvd en France (mais pourtant édité en Belgique ou en Angleterre avec version française et sous-titres français) qui sera disponible comme The King of Marvin Gardens au début du mois de juin.


LA DERNIERE CORVEE / THE LAST DETAIL / Hal Ashby / 1973

Deux marins de l’U.S. Navy,“Bas Ass” Buddusky et “Mule” Mulhall reçoivent pour mission d’escorter l’un des leurs, Meadows, à la prison militaire de Northfolk, où il doit purger une peine de prison pour avoir tenté de dérober la caisse d’une association de charité dirigée par la femme d’un amiral. 

Fraîchement auréolé de l’immense succès d’Harold et Maude, Hal Ashby (En route vers la gloire, Shampoo, Bienvenue Mister Chance) décide d’adapter en 1972 un roman de Darryl Ponicsan, La Dernière Corvée, dont le sujet - l’anti-autoritarisme et la frontière ténue entre le devoir et la morale - reflète l’état d’esprit désenchanté de l’Amérique des années 70, après sept ans d’une guerre catastrophe au Vietnam. “Dans la marine, la mission passe avant les sentiments, qu’il s’agisse d’aller massacrer l’ennemi à My-Laï ou de conduire un gamin en prison”. Pour cette raison, Robert Towne, le scénariste du film, modifia la fin du roman qui s’achevait, lui, par la désertion des deux officiers, interprétés par Jack Nicholson et Otis Young. Classique du Nouvel Hollywood, La Dernière Corvée emprunte la forme du road-movie, genre très en vogue à l’époque, et devient pour le jeune condamné (Randy Quaid, révélé deux ans plus tôt dans La Dernière Séance de Peter Bogdanovich) l’occasion d’un périple initiatique et de l’éveil d’une conscience politique. Cette comédie en demi-teinte sur laquelle souffle un esprit contestataire, alterne moments de farces, presque potaches, et violents retours à la réalité. Un magnifique film hivernal qui, au fil des kilomètres, se recouvre d’un voile mélancolique.
Jean-Baptiste Thoret 
Suppléments :
> Hal Ashby, un rebelle à Hollywood : entretien avec Peter Biskind, auteur du Nouvel Hollywood (13mn)
> Bande-annonce originale

source : Wild Side

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