---------------------------------------------------------------------------------------------------

Guy Debord, l'irrécupérable

Mercredi 10 et jeudi 11 octobre, l’Éclat propose de se pencher sur une partie de l’œuvre du cinéaste Guy Debord, personnage emblématique d'un contre cinéma. Avant d'être un penseur décisif de notre civilisation, Debord fut un réalisateur atypique car ne produisant que peu d'image mais créant des juxtapositions et des collages. A l'heure du flux continu d'informations et de la quête de la médiatisation, Debord a su poser très tôt le débat de notre rapport grandissant à l’esthétique du social.



Présentation du cycle :
--------------------------------------
A travers deux de ses films majeurs, La Société du spectacle (1973) et In girum imus nocte et consumimur igni (1978), ainsi qu’un documentaire en forme de portrait réalisé pour Canal+ en 1994, et qu’il a contrôlé de part en part, c’est une découverte de Guy Debord qui est ici proposée ; c’est-à-dire d’une aventure intellectuelle, artistique et politique rigoureusement hors des normes, en guerre incessante contre l’ordre établi. 

Guy Debord ne s’est jamais voulu cinéaste : le cinéma, pour lui, participait de ce règne du spectacle qu’il n’a cessé de combattre. L’intuition première : nous n’avons plus guère de relations avec la réalité qu’à travers les représentations manipulées, falsifiées, que la société nous en donne ; de plus en plus, l’expérience directe du monde nous est refusée. 
Le « spectateur », dès lors, n’est plus que l’autre nom du sujet aliéné : « Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais ; et tel doit être le spectateur. » 

D’où, dans un premier temps, le rejet violent de l’art, quel qu’il soit, et la nécessité de faire passer la poésie directement dans la vie. La culture de masse qui nous est imposée par le marché ? Rien d’autre à faire, en poursuivant la grande leçon de Lautréamont, que la détourner, en dérobant au spectacle ses armes pour les retourner contre lui. 
Le cinéma, dès lors, laisse entrevoir ce qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas été soumis à la tyrannie du spectaculaire : essai, traité, manifeste politique, pensée en acte. D’où, aussi, la politisation accentuée du propos : rejet violent d’une situation où les maîtres du monde sont aussi les maîtres de sa représentation. L’action situationniste sera le véritable foyer souterrain de Mai 68, son incandescence secrète. 
Puis, face à l’immense régression (dans tous les domaines) que nous subissons depuis une trentaine d’années, ce sera l’époque de livres brefs, implacables (dont les éblouissants Commentaires sur la Société du Spectacle, 1988), qui constituent sans doute le meilleur outil intellectuel dont nous disposions encore aujourd’hui pour comprendre notre époque. Absorption de l’état par le marché, renouvellement technologique incessant comme principe d’asservissement, modèle mafieux généralisé, destruction délibérée de toute conscience historique, règne du « faux sans partage » et du « présent perpétuel » : nous y sommes. 
Ceci, pourtant : « Toutes les révolutions entrent dans l’histoire, et l’histoire n’en regorge point ; les fleuves des révolutions retournent d’où ils étaient sortis, pour couler encore. » 

Guy Scarpetta

Nous pourrons découvrir pendant ces deux jours les films suivants :

La Société du spectacle / 1973
A partir de documents d’actualité et de films publicitaires, Guy Debord démonte la mécanique de la société de consommation, appliquant en cela les principes situationnistes, dans toute leur portée subversive.
“Les spécialistes du cinéma ont dit qu’il y avait là une mauvaise politique révolutionnaire ; et les politiques de toutes les gauches illusionnistes ont dit que c’était du mauvais cinéma. Mais quand on est à la fois révolutionnaire et cinéaste, on démontre aisément que leur aigreur générale découle de cette évidence que le film en question est la critique exacte de la société qu’ils ne savent pas combattre ; et en premier exemple du cinéma qu’ils ne savent pas faire.”

Guy Debord
 > Mercredi 10 octobre à 20h00

Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps / 1959
Film “expérimental” réalisé comme un “documentaire à l’envers”, la caméra alterne les plans vagues et des vues en extérieurs où l’évitement systématique de tout élément “digne d’intérêt” (fuite du cadrage dès qu’il rencontre de l’action ou un monument) crée une sensation de malaise renforcée par des commentaires volontairement “ineptes” phrases détournées, citations classiques mélangées à des dialogues puisés dans un film de science fiction…

> Jeudi 11 ocotbre à 18h00

Guy Debord, son art et son temps / 1994
Guy Debord accepte le projet de film de Brigitte Cornand qui répond à une commande de Canal+, tout en posant des conditions très précises. C’est lui qui fournira toute la matière du film, en se posant comme le seul apte à juger de lui-même :

« Je ne veux entendre, ni ne veux que vous entendiez vous-même, de quiconque, aucune sorte de remarque, même élogieuse. Il serait en effet impensable que je reconnaisse implicitement à qui que ce puisse être, la plus minime compétence, ni la moindre qualité pour rien juger de mon œuvre ou de ma conduite ».
Guy Debord se suicidera avant la diffusion du documentaire.

> Jeudi 11 octobre à 18h00

In girum imus nocte et consumimur igni / 1978
« Je ne ferai, dans ce film, aucune concession au public. » Dès la première phrase, prononcée par Debord dans son film, nous sommes interpellés dans notre position de spectateur. Les extraits de films de fiction, fragments d’actualité, documents personnels, sont dominées par la voix de Guy Debord qui nous parle de lui, de Paris, de notre société dont il n’a cessé de critiquer l’évolution. Le texte nous met en lien avec les images, créant un rapport trouble sur le mode de l’analyse et de la représentation critique.
Le théoricien de l’activité situationniste ne nous convie pas à un simple spectacle cinématographique, mais à une expérience de spectateur de cinéma actif, incarné dans la société dont il est responsable.

> Jeudi 11 octobre à 20h00

Pour compléter ces deux magnifiques soirées à vivre à la Villa Arson (Nice), nous vous recommandons la lecture de l'ouvre Le Cinéma de Guy Debord (Paris Expérimental). Disponible auprès de THE END sur simple demande (contact@theendstore(POINT)com).


Entre 1952 et 1978, Guy Debord réalisa six œuvres cinématographiques. En 1994, peu avant sa mort, il y ajoute un film de télévision. Dans sa critique de la société du spectacle, qui réduit la vie à une représentation, Guy Debord fait pleinement usage de l'image. Avec la pratique du détournement, le cinéaste révolutionnaire remet en cause le conditionnement social propre au capitalisme et évoque son itinéraire sur un mode à la fois héroïque et intime. En prenant pour fil d'Ariane le cinéma de Guy Debord, ce livre retrace le combat de Debord dans le labyrinthe de l’Histoire de la seconde moitié du XXe siècle. Il étudie sa poétique, indissociable d'un refus politique de tout compromis. Son œuvre s'appuie sur le principe de la négativité, qui s'inscrit au cœur d'une contradiction dialectique : produire un art tout en insistant sur son impossibilité. Au fur et à mesure de l'abandon de l'horizon révolutionnaire, Debord transforme cette négativité en "mal", seul moyen d'échapper à l'idéologie bourgeoise du bonheur. Cet ouvrage retrace le parcours singulier d'un créateur, dans et contre la culture contemporaine. 

L'auteur :
------------------------------ 
Docteur en histoire de l’art, Fabien Danesi est actuellement maître de conférences en théorie et pratique de la photographie à l’Université de Picardie Jules Verne. Ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, il est l’auteur d’un précédent ouvrage intitulé Le Mythe brisé de l’Internationale situationniste. L’Aventure d’une avant-garde au cœur de la culture de masse (1945-2008) paru aux Presses du réel.

240 pages | 25,40 euro

Aucun commentaire: