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Identités Japonaises

Pour nos lecteurs parisiens, sachez que demain au BAL (6, Impasse de la Défense 75018), le film documentaire Extreme Private Eros : Love Song de Kazuo Hara sera diffusé à 11h00. Une projection unique pour un film extrêmement rare en France (voire jamais vu).
Cette séance intervient dans le cadre du cycle Identités Japonaises qui à lieu depuis le 4 juin dans ce lieu indépendant dédié à la représentation du réel par l’image, sous toutes ses formes : photographie, vidéo, cinéma, nouveaux médias dixit Diane Dufour, directrice de l'endroit.

La sélection des lons-métrages a été faite par Philippe Azoury, journaliste à Libération.

Traquer son identité. L’interroger. La confronter à la nation, aux maîtres, à toutes les influences susceptibles de la déplacer, la faire changer, la bousculer. Se voir dans le regard de l’autre. Aller ailleurs voir si on n’y est pas…

La série de documentaires présentée durant ce cycle fait écho de façon intime à ce Japon en plein bouleversement que le BAL expose jusqu’au 21 août, à travers les photos de Keizo Kitajima, Yukichi Watabe et Yukata Takanashi.

Ces huit documentaires appartiennent à un segment de l’histoire qui va de la fin des années soixante au début des années 2000 et qui aura vu au Japon le cinéma documentaire devenir à la fois un moyen de passer les règles à tabac (sous l’impulsion des enragés Shohei Imamura, Masao Adachi, Kazuo Hara) et un médium de rêve pour une écriture introspective(Shinji Aoyama, Naomi Kawase).

Les historiens du documentaire japonais parlent d’un choc tellurique à propos de la projection, en 1973, pour la première fois au Japon, de Reminiscences of a Journey to Lithuania de Jonas Mekas : toute une génération qui avait assisté à la olitisation
et à la radicalité d’une nouvelle vague nippone d’une richesse inouïe (Oshima, Imamura, Yoshida, Wakamatsu)comprit qu’elle pouvait désormais associer la protestation et le portrait de soi.

On verra ici que ces transformations profondes de l’écriture documentaire ont commencé encore plus tôt, dès la fin des années soixante, lorsqu’Imamura fit
raconter l’histoire du Japon par une prostituée, lorsqu’ Adachi repartit sur les traces d’un tueur en série pour un grand balayage urbain et politique,qui renvoyait la ville à son indifférence, semblable à celle qui émane du portrait de la gigantesque station de métro de Shinjuku par Jonouchi Motoharu. Une séparation avec une femme induit un dispositif où celui qui filme (Kazuo Hara) est analysé en retour, avec pertes et fracas (Extreme Private Eros: Love Song 1974, l’un des chocs de l’école documentaire japonaise). Vingt ans plus tard, un jeune cinéaste (Shinji Aoyama) se lance dans le paysage du poète qu’il admire le plus, Kenji Nakagami, pour tenter de percer le secret de sa création. Une cinéaste (Naomi Kawase) qui passe sans s’en apercevoir de l’essai à la fiction et de la fiction au journal intime, cherche à renouer avec un père yakusa en se faisant comme lui tatouer la peau : ma chair est toujours la chair de ta chair.

Par eux tous, nous devrions mieux comprendre, à terme, ce que le photographe Keizo Kitajima, compagnon lointain de ces cinéastes, appela longtemps, pour qualifier son travail, « the un-identity ». Où l’identité est toujours à construire, dans sa confrontation à l’autre. Impossible alors de ne pas confronter, à notre tour, ces cinéastes japonais au regard aigu de deux Européens : Chris Marker et Wim Wenders, deux grands voyageurs qui, au fond, n’ont jamais rien compris au prétendu exotisme japonais, se sentant au Japon comme chez eux…

Que Tokyo semble familier à ceux qui ont la passion
du détail et des visages…"
Philippe Azoury

Liste des films de la programmation

Shohei Imamura, L’Histoire du japon d’après-guerre racontée par une hôtesse de bar, 1970, 105’

En demandant à Akemi, ancienne hôtesse du bar« Madame Onboro » (littéralement « Madame Déglingue ») de raconter ce qu’a été sa vie, au Japon, puis aux USA, où elle s’est exilée, et de confronter sa parole à des images d’archives qui retracent la capitulation du Japon en 1945, son redressement économique, et ses troubles politiques récents (l’émergence, dans le sillage de 1968, de la Fraction Armée Rouge japonaise), Imamura invente un dispositif provocateur et salutaire, dans lequel se mêlent la grande histoire et la petite histoire, la Nation et la Putain, le cynisme politique et une survie plus terre-à-terre.
À côté de son oeuvre fictionnelle, deux fois récompensée par la Palme d’or à Cannes (La Ballade de Narayama en 1983 et L’Anguille en 1997), Shohei Imamura (1926-2006), grande figure de la Nouvelle Vague nipponne, est un documentariste subversif, qui scrute l’histoire japonaise et la met face à ses tabous.


> Samedi 23 Juillet

Naomi Kawase, Kya Ka Ra Ba A (Dans le silence du monde), 2001, 49’
> Samedi 11 Juin

Shinji Aoyama, Roji –E, 2000, 64’

Un des films les plus beaux et les plus secrets de Shinji Aoyama, où il part sur les traces de Kenji Nakagami, un écrivain qui a été son maître et dont les romans expriment l’attachement pour sa région natale, Kishû, une région montagneuse avec d’impressionnants rivages qui donnent sur l’océan Pacifique. Les ruelles sont aussi l’un des motifs récurrents de l’écrivain. Aoyama combine les images tournées par Kenji Nakagami en personne, dans ces venelles aujourd’hui disparues, avec ses propres images, en revenant à son tour sur les lieux laissés vides par l’écrivain disparu en 1992.
Shinji Aoyama, né en 1964, ancien critique aux Cahiers du Cinéma Japon, est le chef de file d’une nouvelle génération de cinéastes, apparue à la fin des années quatre-vingt-dix. Eureka, Desert Moon, Elli Elli, Sad Vacation, ont été sélectionnés à Cannes et Venise. Le Festival d’Automne à Paris lui a rendu hommage en 2009.


> Samedi 30 Juillet

Wim Wenders, Tokyo-Ga, 1985, 92’
> Samedi 25 Juin

Chris Marker, Sans Soleil, 1983, 100’
> Samedi 2 Juillet

Kazuo Hara, Extreme Private Eros: Love Song, 1974, 90’


Miuyki est l’ancienne compagne du cinéaste Kazuo Hara. Lorsqu’il décide de la filmer, au début des années soixante-dix, elle vit avec une femme, puis elle trouve un emploi d’hôtesse dans un bar du quartier rouge d’Okinawa, s’amourache d’un soldat noir américain et en attend un enfant. Dans le même mouvement perturbant qui accompagne les photos de Keizo Kitajima, Kazuo Hara se sert de sa caméra pour percer le secret de l’autre, mais ne récolte, en retour, qu’une dissolution lente de sa propre identité. Ce film culte n’a quasiment jamais été montré en France.
Kazuo Hara est né en 1945. Documentariste, il est connu pour deux autres films, tout aussi frontaux : The Emperor’s Naked Army Marches on (1987) et A Dedicated Life (1994).


> Samedi 9 Juillet

Jonouchi Motoharu, Going Down into Shinjuku Station, 1970, 15’

Plongée sensorielle dans la plus grande station de métro de Tokyo. Entre documentaire et cinéma expérimental underground.
Jonouchi Motoharu, documentariste expérimental né en 1935, plasticien contre-culturel, a été à la tête de plusieurs groupes « anti-art » (dont le néo Dada club).
Ses films de la fin des années soixante interrogent la place de l’humain au Japon depuis Hiroshima et en sondent la dévastation.

> samedi 16 juillet à 11h00

Masao Adachi, Aka Serial Killer, 1969, 86’

Norio Nagayama tue quatre personnes entre octobre et novembre 1968. Lorsqu’il est arrêté, il n’a que 19 ans(en prison, il deviendra un écrivain à succès). Masao Adachi marche sur ses pas, et filme un à un les lieux qui furent les siens. Une façon d’aborder, par l’absence, la figure du serial killer à la fois politique, comme situationniste, et voisine de ce qui serait aujourd’hui un projet d’artiste contemporain.
Artiste expérimental né en 1939, cinéaste indépendant, combattant révolutionnaire (aux côtés de l’Armée Rouge Japonaise), prisonnier politique (au Liban), Masao Adachi
fut dans les années soixante un proche collaborateur de Koji Wakamatsu et Nagisa Oshima.


> Samedi 16 juillet à 11h00

Source : Le BAL

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