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Le Soldat Dieu... enfin à Nice !


Durant la Seconde Guerre Sino-japonaise, en 1940, le lieutenant Kurokawa est renvoyé chez lui, en héros de guerre, couvert de médailles…mais privé de ses bras et de ses jambes, perdus au combat en Chine continentale. Tous les espoirs de la famille et du village se portent alors sur Shigeko, l’épouse du lieutenant : à elle désormais de faire honneur à l’Empereur et au pays et de montrer l’exemple en prenant à coeur de s’occuper comme il se doit du soldat dieu…

Oyez ! Oyez ! Le Soldat Dieu est enfin arrivé jusqu'à Nice après sa sortie nationale du 1 décembre 2010. Le dernier film de Koji Wakamatsu sera proposé au Mercury aux dates suivantes :

> jeudi 23 décembre à 20h15
> samedi 25 à 17h00
> dimanche 26 à 21h20
> lundi 27 à 14h00

Peut-être le film de l'année ?

Pour vous convaincre de vous ruez le voir voici quelques critiques et entretiens pour découvrir Wakamatsu et son univers érotico-politique nihiliste.

Charlie Hebdo #963
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Wakamatsu signe ici son centième film. Chez le réalisateur de Sex Jack (c'est son côté Pasolinien), sexe et politique ont toujours fait bon ménage, le premier servant de cheval de Troie au second, depuis Quand l'embryon part braconner (1966) jusqu'à ce Soldat Dieu qui, de retour de la guerre sino-japonaise, muet et amputé de ses quatre membres, n'a plus que son sexe pour exprimer sa colère. Au fond, Caterpillar reprend et creuse la ligne de l'embryon (l'affrontement à huit clos entre un homme et une femme ; les rapports de maître à esclave), même si Wakamatsu opte pour une mise en scène en apparence plus assagie. Mais les séquences au cours desquelles la femme exhibe dans une brouette, à des paysans en pâmoison, sa larve de mari, jouissant ainsi d'une humiliation (la haine) qu'elle maquille en glorification (la dévotion et la raison d'État), comptent parmi les images les plus glaçantes jamais filmées par son auteur.

Jean-Batiste Thoret

Cahiers du Cinéma #662
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L'empire de la haine
[...]Le Soldat Dieu est une œuvre brève (1h25), se réduisant à deux personnages et au décor unique d'une maison paysanne[...]. Le Soldat Dieu pourrait se lire comme le négatif de l'Empire des sens d'Oshima, dont Wakamatsu assura la production. La mutilation y est inversée (seul le pénis de l'homme demeure opérationnel) et le huit clos, au lieu d'isoler le couple de la folie belliciste de l'empire japonais, en concentre la violence et l'aliénation.
Wakamatsu adapte une nouvelle d'Edogawa Rampo, La Chenille, un classique de l'ero-guro (l'érotisme grotesque), courant littéraire japonais des années 20 dont les excès sanglants et la sexualité déviante en font l'ancêtre des brûlots érotiques et révolutionnaires de Wakamatsu. [...] En regard de l'esthétique ténébreuse de ces fils des années 60, Le Soldat Dieu pourrait sembler frontal et dénué de mystère. Le cinéaste efface les ombres de ses images de la même façon qu'il prive l'œuvre d'Edogawa Rampo de sa dimension fantastique et baroque ( à la différence de la Bête aveugle de Yasuzo Masumura, retranscription exemplaire de l'univers de l'écrivain). Cette littéralité n'est pourtant pas un défaut, puisqu'elle lui permet de dessiner sans ambiguïté un monstre concret et naturaliste : un être humain ramené à quelques besoins vitaux et pulsions élémentaires.

Stéphane du Mesnildot

Chronic'art (extrait)
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En transposant la trame d'un des sommets de la littérature japonaise (le Caterpillar d'Edogawa Ranpo) en plein conflit sino-japonais, Wakamatsu oriente sa guérilla contre les manœuvres hypocrites d'un gouvernement pour justifier l'effort de guerre. Faut-il en conclure, avec ce Soldat Dieu et ses râles antimilitaristes, à une redite déphasée du mythique Johnny got is gun ? Pour la deuxième fois consécutive, Wakamatsu préfère le naturalisme HD au magma de scories surréalistes qui agitaient son cinéma bis. Mais la reconstitution ne semble pas le souci principal (ni le point fort, avouons-le) du cinéaste. Au contraire : Le Soldat dieu ressemble davantage à une synthèse détournée, mais brillante, des marottes du Wakamatsu circa 60-70's.

Orfèvre de la perversion domestiquée, Wakamatsu revient à ce qu'il filme le mieux : la répétition ad nauseam d'actes quotidiens, le présent perpétuel comme matrice de crise conjugale. Comme souvent, l'Histoire n'a qu'une valeur de simple toile de fond, soumise au réticule domestique. Certes, les invectives de Wakamatsu ont pris de l'âge : sa consternation a gagné en sérénité et perdu en trépignements de sale gosse. Signe d'une tempérance inédite, le personnage féminin principal (étonnante Shinobu Terajima) apporte même une ampleur romanesque inédite - chez Wakamatsu, les personnages se réduisent souvent à de pures idées - à une œuvre peu versée dans l'identification empathique.

Mais ce tournant contemporain, plus mainstream, n'annonce pas pour autant un gâtisme en phase terminale. Avec son personnage démembré, Wakamatsu fait vite oublier son postulat historique pour retrouver cette galerie de freaks familière à son cinéma. Le Soldat dieu a beau être un film « en costumes », sa charge transgressive résonne bien avec l'actuel. Toujours aussi efficace, cette hargne punk explose lors des ébats intimes entre la jeune femme et son homme-lombric, véritable scuds adressés aux archétypes d'un dogme conjugal intemporel. Le guérillero du pinku eiga peut paraître assagi. Sa croisade contre le conformisme, quant à elle, semble loin d'être terminée.


Yann François

Entretien de Yann François avec Koji Wakamatsu : Le soldat mohican

Quel regard jetez-vous sur votre carrière ?
Chaque film est comme un de mes enfants. Quand je regarde mes anciens films, je les trouve assez mal réalisés. En tant que père, j'ai vraiment enfanté de sales gosses. Je ne sais pas si mon cinéma a évolué de manière positive. En tout cas, il a changé. Aujourd'hui, je fais des films plus librement. Quand j'étais jeune, j'étais souvent à la botte de mes distributeurs. Je me disais que, si 30 % de mes films pouvaient transmettre ce que je voulais dire, le travail était accompli. Les 70 % restants étaient destinés aux distributeurs et aux exploitants. Aujourd'hui, le taux est inversé : je suis libre à 70 % ! (rires)


Les Inrocks
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Avec Kôji Wakamatsu, aucun risque de s’ennuyer. Virulent, radical, extrémiste, le cinéaste gratte depuis longtemps les plaies de la société japonaise et ce nouveau film prouve de façon éclatante qu’il ne s’est nullement assagi avec l’âge.
Le Soldat dieu est un brûlot rageur, un coup de sabre tranchant dans le militarisme, le nationalisme et le patriarcalisme. Pour en donner une vague idée, quelque chose entre L’Empire des sens, Rambo, Freaks et Johnny Got His Gun. [...]
Tel Flaubert, Wakamatsu pourrait sans doute s’écrier “Shigeko, c’est moi !” Le Soldat dieu se passe il y a soixante-dix ans, mais son âpreté, sa colère, son féminisme, son tempérament iconoclaste sont d’aujourd’hui, et probablement de tout temps.


Serge Kaganski

Rencontre avec Kôji Wakamatsu, le plus subversif des cinéastes japonais par Olivier Père

Le sexe est politique dans vos films. Il n'est pas associé à la libération ou au plaisir, mais plutôt à la domination ou à la soumission.
C'est ma vision de l'acte sexuel. Pour moi, c'est beaucoup plus qu'une simple éjaculation.

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